Petites pensées pour RESPLENDIR

Resplendir a obtenu le prix Emma Martin 2017, décerné par l’Association des écrivains belges de langue française, l’occasion de me pencher sur la mécanique qui a sous-tendu l’écriture de ces nouvelles.

Mesdames, messieurs,

Je voudrais saisir l’occasion qui m’est donnée ici pour revêtir une parole bien différente de celle à l’œuvre dans le livre dont il est question aujourd’hui. L’annonce de ce prix a été l’occasion pour moi d’adopter un regard rétrospectif, analytique, sur ces pages qui se sont détachées de moi il y a déjà longtemps. Aussi ai-je voulu les quelques lignes qui vont suivre comme une espèce de clé à mon travail : un éclairage pour ceux qui m’ont lu, une invitation à la lecture pour les autres.

« Resplendir », ce sont 7 nouvelles, 2511 phrases, 35 094 mots, 209 583 caractères. Ce sont aussi trois ans de rédaction (souvent interrompue par les difficultés de l’écriture et de la vie). Ce sont des bouts de deux résidences d’écriture. C’est une minuscule folie, qui aurait très bien pu ne pas exister, et que j’aurais moi-même oubliée. Et pourtant, puisqu’aujourd’hui — et grâce à la confiance et au travail d’Anne Leloup, éditrice chez Esperluète — c’est également un livre, j’en suis responsable : me pencher sur les motifs d’une telle entreprise est donc nécessaire.

J’ai tâché, à travers ce livre, de restituer des blocs de réalité, dans l’opacité apparente avec laquelle ils me parvenaient. J’ai taché de ménager des espaces, des trous de non-savoir, qui ne sont pas pour autant des bulles d’imagination. Le sens doit être cherché — telle a été ma quête, en tout cas — dans la mise en relation entre ces blocs de réel, pas dans la création d’un vernis qui le rehausserait, à travers lequel on pourrait l’admirer. Et cette mise en relation, elle ne dépend que de vous, lecteurs : j’y suis pour peu, ayant voulu conserver pour moi-même, et tout au long du processus d’écriture, cette position d’innocence face au reflet du sensible qu’est la nouvelle.

Je ne suis pas celui qui sait, ni même celui qui construit. Dans ces pages, je suis le fleuve qui contient les courants chauds, les courants froids, les tourbillons, les à-pics. Je suis celui qui ne dicte pas, mais murmure pour faire face au doute.

Si je m’attelle à la folie d’écrire, c’est pour que quelque chose de signifiant se révèle à travers elle, quelque chose d’indicible et de fugace (l’expression parachève le réel: elle ne le commente pas). Ainsi, le texte une fois terminé n’est qu’une proposition de partage, dérisoire, infime, pas une déclaration.

Dans cette dynamique, l’impératif narratif n’a pas cours. S’il advient, c’est pour donner forme, rythme à ces tessons de sens juxtaposés. Il y a tellement d’histoires qui courent à travers le monde, qui saturent le monde. Mon projet n’est pas laborieusement d’en ajouter, mais plutôt, d’une certaine manière, de lui en soustraire, en proposant de minuscules univers qui fuitent, ouverts à l’extérieur, à la belle incohérence du quotidien.

J’aime à considérer que chaque nouvelle est une question. Une question qui existe par elle-même et n’attend pas de réponse. Une question qui ne nous engage (ne vous engage, chers lecteurs !) que dans la mesure où elle fait écho à cette part de vous qui ignore : le vivant en vous, le vivant en nous.

Si toute réponse est illusoire, contempler activement est nécessaire, et là réside mon véritable travail, la tâche à laquelle j’essaie de m’astreindre chaque jour, dans l’écriture et au-dehors. C’est dans cet exercice du regard, cet affutage de l’écoute, que le cercle entre « expérience » et « expression » se parachève. Hors de ce mouvement, la littérature —pour moi — est inutile.

Je dois « Resplendir » à d’innombrables personnes, elles sont les visages que je n’ai pu inventer dans ce livre. Et j’aime à penser qu’en elles mes mots — parce qu’elle les ont précédés puis suscités — perdureront aussi longtemps que sur le papier. Il n’y aurait, pour moi, pas de prix plus gratifiant. Je les remercie ici infiniment sans les nommer : elles se reconnaitront, je l’espère, à la lueur de ce que nous savons avoir partagé.

Pour terminer, j’aimerais vous dire, chers lecteurs, que je regrette de n’être parmi vous ce soir. Je vous prie de considérer mon absence comme une promesse, celle que tout livre contient pour son auteur, une fois qu’il en a terminé la rédaction — ou plutôt, une fois qu’il en a achevé la traversée —, celle d’un autre livre en devenir.

Dans un entretien que François Jacqmin a accordé à Pascal Goffaux, en 1985, il dit ceci :

Dès que le poème est fait, je me rends compte qu’il y a à l’intérieur de ce poème qui est terminé un autre poème qui est à faire. Autrement dit, les horizons se dégagent au fur et à mesure que l’on en découvre.

Je n’ai pas de mots plus justes pour terminer cette petite intervention.

Je vous remercie pour votre attention, et je remercie Ludivine Joinnot pour son amitié, elle qui porte ces mots jusqu’à vous aujourd’hui.